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LE BONHEUR

SOMMES nous faits pour être heureux ?

Sujet proposé par mon professeur de philosophie en Terminale (2017)

« Tous les hommes recherchent d'être heureux. » Cette formule de Pascal tirée des Pensées définie le but de tout homme, la finalité d'une vie. La quête du bonheur est une quête universelle depuis que l'homme existe et ce, peu importe d'où il vient, sa condition, sa manière de vivre ou de penser. Cependant : Sommes-nous faits pour être heureux ? Le bonheur est un état de satisfaction complète qui se caractérise par sa stabilité et sa durabilité. Un plaisir éphémère ne matérialise donc pas le bonheur, tout comme une joie intense qui n'est ressentie qu' à un instant précis. La syllabe « heur » du mot « bonheur » dérive phonétiquement du latin « augurium » qui signifie « augure », « présage ». Quand on emploie le mot bonheur cette étymologie prend un sens positif : bonne augure, bon présage.

Être heureux serait donc lié au destin, à la chance. Dans ce sens nous aurions donc la chance d'être heureux, ce qui montre la difficulté d'atteindre le bonheur. « Être fait » pour être heureux serait associé à la condition physique ainsi qu'à la complexion psychologique.

Viennent alors ces questionnements : La constitution de l'homme en tant qu'être physique, charnel, serait-elle capable d'accueillir le bonheur en son sein ? Et la complexion psychologique de l'homme serait-elle à même de lui faire ressentir le bonheur ou l'associerait-elle à un sentiment de paix intérieure, présent lorsqu'il ne souffre pas ? Et par ailleurs, qui est ce « nous » ? Chaque individu s'identifie à ce « nous » car il caractérise à la fois l'appartenance au genre humain et l'appartenance à une société. Enfin, « Sommes-nous faits POUR être heureux renvoie à une finalité : Est-ce que nous visons le bonheur ? Si oui, sommes-nous capables de l'atteindre ? Si oui, par quels moyens ?

Tout nous pousse à croire que le bonheur est une fin en soi, la concrétisation d'une vie pour l'être humain. Nous citerons alors Spinoza qui écrivait « Tout ce qui est beau est difficile autant que rare », il ne suffit pas de vouloir le bonheur, il faut mettre en œuvre tous les moyens nécessaires afin d'espérer l'atteindre. Si nous sommes faits pour être heureux, pourquoi y a-t-il aussi peu de gens qui peuvent affirmer l'être ? Et à l'inverse, si finalement nous n'étions pas faits pour être heureux, pourquoi alors ressentirions-nous ce besoin si fort de l'être ?

 

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            Atteindre le bonheur est un but présent chez tout homme, il est alors bon d'essayer de comprendre la place qu'il occupe et le rôle qu'il joue. Il conviendra donc de citer Aristote dans Ethnique à Nicomaque : « Le bonheur n'est jamais choisi en vue d'autre chose que lui-même ». Le bonheur serait donc un état qui se suffirait à lui seul ? En tous les cas, il fait l'objet de la quête la plus importante de la vie d'un homme. Il occupe une place fondamentale dans l'existence humaine et cette place est déterminée par l'homme, qu'il en soit conscient ou non. Lorsque Woody Allen dit « Qu'est-ce que je serais heureux si j'étais heureux », il met en lumière notre espoir d'accéder au bonheur. En effet nous sommes séparés du bonheur par l'espérance-même qui le poursuit. Qu'est-ce que l'espoir d'être heureux et quelle place occupe cet espoir au sein de la vie d'un homme ? L'espoir d'être heureux c'est dépendre d'une attente car l'espérance est un sentiment de confiance en l'avenir qui consiste à attendre avec fermeté la réalisation de l'objet de notre espoir. Encore faut-il avoir conscience que cet espoir nourrit notre esprit. La conscience des choses peut s'avérer être un exercice fastidieux, encore plus lorsqu'il s'agit d'un sentiment aussi incertain que le bonheur. Qui peut affirmer de façon catégorique qu'il est heureux ? Même celui qui se croit le plus heureux de tous les hommes aura une hésitation si cette question lui est posée. Nous nourrissons l'espoir d'être heureux mais avons-nous conscience de l'être ? Pour le savoir faisons-nous seulement appel à notre conscience spontanée ou également à notre conscience réfléchie ?

La conscience spontanée est un état dans lequel nous ressentons une impression, ici ce serait l'impression d'être heureux. La conscience réfléchie, quant à elle, se manifeste afin que nous analysions cette impression renvoyée par la conscience spontanée. Nous cherchons donc à savoir si nous sommes vraiment heureux, c'est-à-dire si nous ressentons un sentiment de satisfaction complète. Si cette satisfaction est incomplète cela signifie que cette impression d'être heureux était seulement une joie intense mais éphémère.

La quête du bonheur joue alors un rôle important dans l'évolution d'un homme si celui-ci à conscience de mener cette quête. Bien sûr il serait aberrant de dire que toutes nos actions, à partir du moment où nous avons atteint ce niveau de conscience, se justifieraient par le bonheur comme objectif suprême. Pourtant quand nous savons que nous recherchons le bonheur, nos pensées se dirigent naturellement vers cet objectif. Si notre objectif est d'être heureux cela signifie d'abord que nous voulons avoir ce que nous désirons. Nous désirons ce qui nous manque et ce qui nous manque c'est le bonheur. « Le désir est l'essence même de l'homme » comme l'écrivait Spinoza. Cependant si nous espérons être heureux en recevant tout ce que nous désirons, nous nous méprenons fortement car puisque le désir est infini et qu'il est manque, nous n'atteindrons jamais le bonheur de cette façon. Nous souhaitons alors plutôt de ne pas être malheureux ce qui donnerait au bonheur un rôle de pansement à nos blessures, à nos fêlures.

Le rôle du bonheur n'est pas perçu de la même manière chez l'enfant car c'est un être encore inconscient de la place du bonheur dans sa vie et insouciant de l'impact qu'il peut avoir. Un enfant est heureux par nature et non par conscience. Mais si l'homme, à l'âge de l'enfance serait heureux par nature, pourquoi et comment perd-il cette faculté à l'âge adulte ? Et donc, sommes-nous « faits » pour être heureux ?

 

Lorsque l'on étudie cette question d'être « fait » pour être heureux, nous mettons en lumière deux questionnements. D'abord : Sommes-nous faits biologiquement pour être heureux ? Autrement dit : La constitution de l'homme en tant qu'être physique, charnel, lui permettrait-elle de trouver le bonheur ?

Freud s'oppose à cette hypothèse lorsqu'il dit dans Malaise dans la culture : « Nous sommes ainsi faits que seul le contraste est capable de nous dispenser une jouissance intense, alors que l'état lui-même ne nous en procure que très peu. Ainsi nos facultés de bonheur sont déjà limitées par notre constitution. » Pour Freud, nous serions donc constitués de sorte que l'espoir d'être heureux soit ce qui constitue notre bonheur. Biologiquement chez l'homme, il ne pourrait donc exister un bonheur complet, sans interruption. Serions-nous donc biologiquement faits pour être malheureux ?

Ce malheur pourrait se décomposer en trois types de souffrances. Il y aurait d'abord une souffrance physique qui serait liée à la finalité du corps en tant que chair : « la déchéance et la dissolution » de tout corps après sa vie. Il y aurait aussi une souffrance mentale qui serait due aux « forces invincibles et inexorables » du monde extérieur, donc une souffrance créée par le monde qui nous entoure. Et enfin, une souffrance psychologique, plus intérieure, qui menacerait notre bonheur par le biais de notre rapport avec les autres humains. La formule d'Alain convient pour définir cette souffrance : «  Aucun homme ne peut trouver en ce monde de plus redoutable ennemi que lui-même. » Si l'homme ne croit pas en son propre bonheur il ne le connaîtra jamais.

La question : « Est-ce que la complexion psychologique de l'homme est-elle à-même de lui faire ressentir le bonheur ou l'associe-t-elle à un sentiment de paix intérieure, présent lorsqu'il ne souffre pas ? », se doit d'être reconsidérée ici. Si nous prenons en compte à présent que le bonheur peut être vu comme une finalité compromise il est intéressant d' énoncer la vision de Schopenhauer. Pour lui le désir est bien un manque infini et n'est donc pas un moyen d'accéder au bonheur.

Pour l'auteur du Monde comme volonté et comme représentation, « Nous ressentons le désir, comme nous ressentons la faim et la soif ; mais le désir est-il rempli, aussitôt il en advient comme ces morceaux goûtés par nous et qui ne cessent d'exister pour notre sensibilité, dès le moment où nous les avalons ». Nous prenons plaisir à manger et à boire comme nous prenons plaisir à assouvir un désir, cependant ce sont des plaisirs éphémères, ils disparaissent aussi rapidement qu'ils sont arrivés. « La vie donc oscille, comme un pendule, de droite à gauche, de la souffrance à l'ennui. »

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Le désir est en fait un acte cyclique, une boucle sans fin. Nous nous ne pouvons aspirer au bonheur par le moyen du désir car il sera infiniment incomplet, insatisfait, or être heureux c'est ressentir une félicité absolue. L'homme a donc une complexité psychologique incompatible avec l'idée que le désir rendrait heureux.

Si l'homme ne paraît pas fait pour être heureux, tant physiquement que psychologiquement l'enfant n'est donc pas conscient qu'il est heureux quand il l'est. Il ne se pose pas la question. Mais alors, puisque le bonheur apparaît comme une finalité compromise, pourquoi sa quête reste-t-elle omniprésente dans l'esprit de l'homme ? Pourquoi s'acharne-t-il a chercher le bonheur alors qu'il sait pertinemment qu'il n'est pas fait pour l'être ? Existerait-il malgré tout, un moyen pour parvenir à être heureux ?

 

« [Les hommes] tendent au bonheur, les hommes veulent être heureux et le rester » disait Freud. En effet, malgré tout, nous cherchons tous le bonheur car nous ferions tout pour échapper au malheur. Cependant, « cette aspiration au bonheur a deux faces, un but négatif et un but positif : d'un côté éviter douleur et privation de joie, de l'autre rechercher de fortes jouissances » (Freud). Le bonheur coexiste avec le malheur, nous pourrions même dire qu'il dépend de notre douleur. Sans la douleur nous ne connaîtrions pas l'espoir d'être heureux. Quant aux fortes jouissances, elles sont propres à chacun de nous. Il suffit de peu à l'enfant pour avoir la connaissance du bonheur. Les hommes ont des jouissances simplement physiques mais aussi spirituelles. C'est sur ce dernier point que nous nous appuierons pour essayer de comprendre comment nous pourrions, malgré les difficultés, adapter le bonheur à ce que nous sommes, des êtres de pensée.

Le bonheur est-il peut-être trop grand pour nous ? Il ne suffit pas de l'atteindre, il faut surtout se maintenir en lui. Puisque nous sommes des êtres de pensée il faudrait apprendre à être heureux grâce à la philosophie. La philosophia est, étymologiquement et conceptuellement, l'amour de la sagesse. André Comte-Sponville reprend la définition de la philosophie proposée par Epicure et lui apporte certaines modifications, cela donne : « la philosophie est une pratique discursive qui a la vie pour objet, la raison pour moyen, et le bonheur pour but ». Il s'agirait là de penser mieux pour vivre mieux. Comme le dit Aragon, « le temps d'apprendre à vivre il est déjà trop tard ». Puisque l'atteinte du bonheur est une quête sans fin – nous avons un désir de bonheur et ce désir est frustré, déçu, blessé – il faut apprendre à vivre afin que cette quête ne soit plus ni une souffrance, ni une fin en soi, mais une ligne de vie. Apprendre la sagesse c'est apprendre à vivre, apprendre le savoir-vivre. Alors même s'il est parfois plus simple de souffrir que d'être heureux, « il faut méditer sur ce qui procure le bonheur, puisque lui présent, nous avons tout, et lui absent, nous faisons tout pour l'obtenir » (Epicure). La méditation, amenée par les sages d'Orient et d'Occident donne à voir que le bonheur est possible à condition de ne plus chercher à ajuster le monde à nos désirs. Il faut apprendre à accepter la vie comme elle vient, avec ses souffrances et ses joies : l'homme heureux est celui qui fait le choix de vivre sa vie à part entière.

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            Nous pourrions donc conclure avec la phrase fataliste de Camus dans Caligula : « Les hommes meurent, et ils ne sont pas heureux. » La sagesse permettrait de contrer ce destin, voilà pourquoi elle est nécessaire. Nous sommes faits pour apprendre la sagesse.

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